Attention il faut quand même conserver un environnement économique vivable en Gironde.
Depuis quelques années, les grandes fortunes de ce monde débarquent dans les vignobles français et italiens. J’ai connu le bordelais avec une très grande majorité de familles propriétaires et vignerons avec qui nous entretenions des relations amicales. Parmi les premiers, depuis les années 1970, figurent Madame Mentzelopoulos, Bernard Arnaud et François Pinault. Ils ont ensuite été suivis par une avalanche d’industriels et autres hommes d’affaires qui possédaient des fortunes issues d’autres domaines que celui du vin. Rien de nouveau puisque autrefois les riches de ce monde investissaient dans le bordelais et y construisaient de châteaux somptueux. Aujourd’hui, on y construit des chais magnifiques, on y restaure de splendides demeures/châteaux.
L’intérêt de cette démarche est de faire renaître une région viticole. Les investissements colossaux effectués dans les nouveaux chais « cathédrales » créent des retombées économiques dans des dizaines de secteurs comme le tourisme, les métiers de la construction, des services en passant par les rentrées fiscales…. Je l’espère !
La deuxième démarche intéressante est qu’avec les bénéfices accumulés sur les propriétés prestigieuses qu’ils possèdent, les heureux propriétaires investissent dans des châteaux moins réputés en leur faisant bénéficier du « know how » acquit sur leur propriété « flag ship ». La conséquence de cette démarche est de trouver parmi ces châteaux moins connus des propriétés qui produisent des vins nettement meilleurs que ce que le classement ou l’étiquette ne peut laisser paraître.
La face cachée de cette évolution est, en termes marketing, le manque de considération pour l’expérience client. J’entends les clients jouisseurs de beaux vins, amateurs de bonnes tables et épicuriens qui n’y trouvent plus vraiment leur compte. Le prix des belles cuvées s’envole et devient le privilège de personnes très aisées. L’approche de certains domaines dans le Bordelais est particulièrement hautaine, heureusement pas tous, mais il faut savoir aller les dénicher.
J’y vois cependant deux problèmes : la rareté de ces grands noms sur les tables de restaurants amorce aussi une diminution de la notoriété de ces vins auprès des jeunes amateurs de vins. Or, chaque année ces châteaux produisent de 50 à 300 milles bouteilles de grands crus qui ont une durée de vie définie et qui ne pourront pas être stocké indéfiniment. Combien de vins trop vieux pour donner un réel plaisir gustatif sont stockés dans des caves, encore trop souvent dans des conditions relativement mauvaises ? Le deuxième problème est la spéculation facilitée ou initiée par les châteaux eux-mêmes. Il ne faut pas perdre de vue que la spéculation a toujours été un jeu à somme nulle et que le bonheur des uns fait ou fera forcément le malheur des autres.
L’histoire de Bordeaux et des grands vignobles est faites de hauts et de bas. On est clairement sur une courbe ascendante, favorisée par des taux d’intérêts historiquement bas et une fiscalité qui encourage ces grandes fortunes à s’approprier le monde du vin mais toutes les démarches marketing et commerciales le montrent, il faut aussi se soucier de sa base de consommateurs.
Le succès de ces grandes propriétés a été construit sur un « biotope de marché » homogène qui comprend petites et grandes propriétés, connues et moins connues, négociants, courtiers, critiques de vins, distributeurs et importateurs, cavistes et sommeliers. Aujourd’hui l’équilibre semble se rompre, il ne manque plus qu’un gros grain de sable dans les rouages de l’économie pour gripper tout le système. Les années 1970 sont encore dans la mémoire des Bordelais sexagénaires. A la suite du choc pétrolier de 1973 et la crise financière qui a suivi jusque fin des années 1970, les producteurs de Bordeaux ont connu des années noires, les faillites se succédèrent et une profonde remise en question du vignoble et de la commercialisation de ses vins fut opérée. Bordeaux survivra toujours mais une correction reste très probable afin que les vins puissent retrouver le chemin des tables et ne plus être objet de spéculation.